TEXTES

Les sculptures de Anne-Marie Klenes possèdent les qualités de vérité et d’ambiguïté que leur offre le matériau choisi : le schiste. A leur approche on ne sait pas si c’est du bois, du métal ou de la pierre. Ce matériau participe à la fois de la pérennité des roches et de la précarité des choses. Rien de plus fragile en effet que cette pierre susceptible à tout moment de se rompre ; rien de plus indomptable que ce matériau qui ne supporte pas qu’on le prenne à contre-sens. Le schiste en effet ne peut être maltraité. On ne lutte pas avec le schiste, on se laisse guider par lui, on se laisse parter par son organisation interne, par le moindre de ses replis. Le schiste est une pierre subtile qui se mérite plutôt qu’elle ne se conquiert. On ne peut être que dans la complicité du schiste, jamais contre lui ; en ce sens il se distingure radicalement du marbre et du granit. Les sculptures d’Anne-Marie Klenes, de la même manière, allient la gravité à la fragilité. A l’horizontalité et à la verticalité de leur situation dans l’espace s’oppose le caractère oblique du sens de la pierre. Il y a de la sévérité dans ces œuvres, une manière d’être là dans la solitude d’une présence implacaable, en même temps que s’irradie d’elles une forme de délicatesse. Ces œuvres s’imposent sans en imposer au regard. C’est pourquoi, on peut direque son art procède du sacré mais que ce sacré n’est jamais accablant.

Bernard Marcadé Extrait du catalogue Michel Mouffe, Anne-Marie Klenes au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris en 1993.

La nature observée nous amène toujours aux formes premières.
Vivre ses signes et ses forces et les donner à voir, à sentir et à toucher.
Aller à l’essentiel est le cheminement qui nous rapproche le plus de notre nature.AMK.

Extrait du catalogue de l’exposition de Varèse.

C'est au coeur de l'interstice étroit entre la beauté naturelle de la pierre et le désir irrépressible de l'intervention artistique que prend sa source le travail sculptural d'Anne-Marie Klénes. Equilibre subtil et délicat entre la matière brute et l'acte de sculpture, entre le plaisir de voir et le besoin de faire, entre la contemplation passive et la détermination active, entre la fascination pour l'état des choses et la nécessité de donner libre cours à l'inventivité.

C'est sur les surfaces de l'ardoise qu'Anne-Marie Klénes répand cette écriture sculptée, caractéristique de son travail depuis plusieurs années. Cette écriture révèle un récit intimé, né de la rencontre de l'émotion gestuelle et des aspérités naturelles de la matière. Parfois l'incision est réduite à l'effleurement de la surface, parfois il s'agit d'entailler profondément le bloc, parfois encore, ce sont de fines ardoises qu'il convient de découper pour les assembler en une construction gracile. L'outil s'accommode des textures du schiste, il les amplifie, les magnifie. En d'autres occasions, il s'en distingue, cherche à les modeler, ou si ce n'est possible, à les infléchir dans une direction voulue. Traces légères de polissage et incisions appuyées font émerger de cette matière sombre une gamme d'émotions variées.

La disposition spatiale des oeuvres crée une atmosphère émotionnelle particulière. Elle suscite l'éveil d'une sensibilité à l'environnement global. A l'espace d'exposition bien défini, se substitue progressivement l'impression d'une ample gestuelle graphique. L'appréhension séparée de chacune des sculptures concentre ensuite l'attention, focalise les regards sur les fourmillements des surfaces incisées. Se tressent alors des liens secrets, des émergences tactiles, des rapprochements visuels. Les récits des pierres s'interpénètrent insidieusement et se confondent, comme si chaque oeuvre était à la fois le fragment d'une écriture monumentale, et condensait sur la surface la totalité de cette écriture.

Pierre-Olivier ROLLIN